Il y a quinze ans, jour pour jour, dans une autre vallée de montagne, un autre guide, Richard Bozon, périssait en exerçant son métier à l'aube d'une nouvelle année, sous le domaine des Grands Montets. Depuis vendredi, Éric Favret, président de la compagnie de Chamonix, l'institution phare, ne cesse d'y penser. L'onde de choc suscitée par l'accident de Benjamin Gaimard a remonté la haute Tarentaise et les versants italiens du mont Blanc pour parvenir en quelques heures dans la capitale de l'alpinisme. L'aventurière Laurence de la Ferrière, basée ici, avait traversé les Alpes, il y a trois ans, avec le guide des Arcs. Et sa mort ce 1er janvier 2010 et celle de ses deux clients viennent gonfler la litanie des drames qui touche toute une profession dans les Alpes françaises. En 2009, onze guides ont péri en altitude. Un chiffre sans précédent. De quoi susciter bien des questionnements au sein d'une corporation qui, en France compte 1 600 professionnels, indépendants pour la plupart, mais aussi chez les moniteurs de ski, également en première ligne ces dernières années dans l'accidentologie. Nouveau cursus Il y a quelque temps, le célèbre alpiniste Marc Batard se répandait dans la presse visant l'École nationale de ski et d'alpinisme (Ensa) l'organe de formation des guides, reprochant que la culture "du renoncement" ne soit pas prise en compte dans l'enseignement. Pourtant voilà déjà près de trois ans que la réflexion pour rénover le cursus a été entreprise. "L'idée-force est d'intégrer la prise de décision dans la formation", explique Denis Crabières, président du syndicat national des guides (SNGM). Le nouveau cursus doit entrer en application cet été : "La formation a été densifiée avec 21 jours obligatoires de tutorat". Aux côtés d'un ancien expérimenté, l'élève découvrira l'aspect relation avec le client et la gestion de la prise de décision au quotidien. Il y aura une véritable progressivité dans l'acquisition des prérogatives". Mais la remise en question remonte à 2004, autre année noire pour les guides avec la mort de l'icône de l'alpinisme Patrick Berhault. On parlait alors de transition vers une approche plus hédoniste et moins élitiste de la montagne. Depuis, l'Ensa enseigne la méthode du 3 par 3 basée sur des "filtres décisionnels". "Il s'agit d'un mode de conduite d'un projet de sortie en montagne. À intervalles réguliers au gré des variations observées au fil du parcours, que ce soit de la nature du terrain, des conditions ou du groupe, le guide module sa décision et modifie son projet", indique Denis Crabières. Bref, continuer ou faire demi tour, se lancer dans la pente ou renoncer. C'est un changement d'état d'esprit que le Syndicat tente d'insuffler pour à terme éviter de telles séries noires, dans un contexte où la mono activité des guides gagne du terrain. Avec davantage de temps passé en montagne, une multitude d'activités du canyoning au raid qui permet d'en vivre toute l'année et, de la part du client, un désir de plus en plus fort de sensations rapides, plus que jamais, le professionnel a besoin de repères. REPÈRES Douze guidesdécédés en un an Depuis le 1er janvier 2009, onze guides ou aspirant guides français ont péri. Certains dans des pratiques amateurs, principalement en cascade de glace, mais plus de la moitié en encadrant des clients. Benjamin Gaimard, est la douzième victime de la série noire. En mai, l'accident en crevasse de la championne Karine Ruby avec deux clients ou en mars la mort de trois lycéens savoyards ensevelis avec leur guide à Valmenier ont marqué les esprits. LA PROFESSION Selon le SNGM plus de 20 % des guides vivent exclusivement de la montagne. Une part croissante. Plus de la moitié ont entre 45 et 64 ans. La nouvelle formation vise un rajeunissement.