Dans une vie de liberté et d'aventure, ce n'est finalement qu'une matinée. Une matinée ? Un exploit, jamais réalisé avant, jamais tenté après. Une folie, une obsession concrétisée par un homme hors du commun, alliant technique et baraka. Cet homme, c'est Henri Giraud, pionnier du vol en montagne. Il a multiplié les premières et les défis (lire en Repères), mais celui-ci restera à part. Le 23 juin 1960, il a posé son Choucas sur le mont Blanc. En toute illégalité... Un détail pour celui qui détestait l'administration et les règlements, qui se qualifiait de « révolté », d'« anarchiste » : « Je pense être à l'aviation ce que Brassens et Brel sont à la chanson », a-t-il déclaré. La seconde sera la bonne Le mont Blanc : « Il en rêvait depuis qu'on était mariés », se souvient son épouse Simone. « Je lui ai dit de le faire. J'avais confiance en lui : je savais qu'il ne le ferait pas si ce n'était pas possible. » Ce jour-là, elle s'est levée en même temps que lui et s'est « occupée » à la maison, repassant du linge... Henri Giraud avait bien préparé son coup. Des survols, des repérages. « Il lui a fallu une grande préparation technique et spirituelle. C'était tout sauf un casse-cou », souligne son gendre Bernard Boyer, lui-même pilote. Mais « entre le fin du fin de la technique aéronautique et la folie, il n'y a qu'un fil de rasoir ! » reconnaissait Giraud. Le jour J, le pilote se pose au col du dôme du Goûter, à 5 h 30. Il rejoint le photographe Aimé Mollard, le guide de montagne Pierre Jeanvoine, le pilote Jean Moine et... le préfet de Haute-Savoie, Raymond Jacquet, arrivés en hélicoptère. Il reconnaît et balise (avec de la poussière de charbon) l'aire d'atterrissage, observe le vent. À 6 h 15, sa première tentative échoue car il va trop vite. À 6 h 30, la seconde est la bonne. Giraud pleure de joie. Avant de redécoller, il envoie un message « déférent d'affection et de gratitude » au général de Gaulle. Qu'il conclue ainsi : « Je dédie cette victoire symbolique à la gloire de Dieu, à ma mère et à la France. » Ce jour-là, Henri Giraud est entré dans la légende. Même si, de son point de vue, « atterrir sur le mont Aiguille était plus difficile »... REPERES Henri Giraud est né le 16 mai 1920 à Marcollin. C'est l'après-midi de sa communion, en voyant voler un Breguet XIV, qu'il décide de devenir pilote. Il est breveté pilote d'avion de tourisme le 15 octobre 1938. En novembre 1939, il rejoint l'armée de l'air. Le 16 mai 1940, il part pour l'Algérie, puis rejoint le maquis dans le Vercors. Après la guerre, il devient moniteur dans l'Aviation civile. En 1951, il est chef pilote de l'aéroclub du Dauphiné. Le 8 mars 1953, il se pose à la Croix de Chamrousse (2 225 m). Le 27 août 1957, il atterrit sur le mont Aiguille. Le 12 juillet 1958, il se pose au sommet du dôme du Goûter (4 304 m), battant le record de France d'atterrissage en altitude. Le 22 mars 1960, il atterrit sur le mont Aiguille enneigé. Le 10 mai 1963, il emmène le ministre des transports Robert Buron au dôme de la Lauze pour le convaincre d'autoriser les atterrissages en montagne. Il fonde l'aéroclub de l'Oisans le 1er janvier 1971. Il effectue son dernier vol le 21 septembre 1999. Deux jours plus tard, il est victime d'une attaque cérébrale et décède neuf semaines après. Le Dauphiné